Vétérinaire

LOUP – VÉTÉRINAIRE 53 ANS

Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ?

 

Il n’y a pas de bonne définition, car rien n’est jamais fixé définitivement et je refuse de répondre. (long silence).

Employer le terme santé mentale me fait immédiatement penser à pathologie mentale qui est une maladie abominable. Il ne peut qu’être conjugué à contrario. A partir du moment où on le nomme cela signifie qu’il y a problème, sinon on n’en parle pas.

La santé mentale c’est quelque chose de naturel comme la bonne santé tout court. Je n’ai jamais fait d’examen pour savoir si j’étais en bonne santé mentale ; je ne sais pas s’il existe des appareils à mesurer la santé mentale mais la perdre c’est sans doute ce qu’il y a de plus terrifiant.

Il y a un tel refus de la maladie mentale qu’il s’agit de la nier le plus longtemps possible ; c’est comme si c’était le dernier bastion de son corps atteint par Thanatos. C’est le dernier “ pré carré “ à préserver pour échapper à la destruction totale de son être, à la perte de son intégrité.

Le mot même de maladie mentale est rejeté et c’est la raison pour laquelle, à mon sens, on parle pudiquement de santé mentale. On va dans un dispensaire de santé mentale alors qu’on y soigne effectivement la maladie. Si psychiquement on va bien on ne va pas dans un dispensaire de santé mentale.

On pourrait broder des heures sur cette question et se demander si un certain déséquilibre n’est pas nécessaire par exemple sur le plan artistique. Un début de pathologie c’est peut-être l’ouverture vers des horizons qu’on ne soupçonne pas. Certaines « fêlures » – somme toute – peuvent être enrichissantes ? C’est peut-être ce que l’on cherche dans l’alcool, la drogue, je n’ai pas de réponse.
Finalement je dirais que les pathologies mentales sont les fleurs noires de toutes les autres pathologies.

La pathologie mentale par exemple existe chez l’animal mais elle est frustre ; dans les situations analogues à celles des humains, là où le mental intervient, on se rend compte que ce qui n’est qu’ébauché chez l’animal est ce que nous sommes devenus ; pas seulement chez des espèces supérieures comme les chimpanzés. On peut l’observer chez des mammifères de rang inférieur.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?

 

L’ensemble de la société est parfaitement responsable mais l’absence de société serait-elle moins pathogène sur un même individu ? La réponse n’est donc pas la même pour tout le monde.

Tout peut être générateur de mauvaise santé mentale mais cela revient-il à dire que le mental est sous la dominance de facteurs extérieurs ? Bien sûr que oui. Donc cela implique qu’on laisse tomber toute la pathologie médicale classique. Tout dépend finalement aussi de la nature et de la fragilité de chacun.

A partir de quel moment considérez-vous que quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale ?

 

Quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale à partir du moment où il a perdu une certaine qualité de vie et sa propension au bonheur. A part ça tout le monde peut donner le change même à ceux qui vous sont très proches. Pour ceux qui vous environnent, le dérapage n’est pas évident à interpréter.

Quels sont les critères objectifs pour un médecin de médecine générale ? Le sait-il lui-même ? Pas sûr. Pour le psy qui a l’habitude de démêler des petites choses particulièrement ténues, peut être ?

On peut faire une dépression quand on est dans un environnement où tout ce que vous faites est dévalorisant – à tort ou à raison – et d’où vous ne pouvez pas vous extraire même en travaillant comme un cheval. Or si vous ne voyez pas la moindre lueur au bout, que votre travail est répétitif, qu’il pleut tout le temps, c’est une ambiance kafkaïenne qui finit par émousser tout le monde. Mais effectivement, certains, dans un même environnement vont se tirer d’affaire.

Constatez-vous des problèmes de souffrances psy parmi vos clients ? Quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?

 

Ici on est dans une ville de dépressifs. Ils ne rient plus, ils ne sourient plus ; est-ce cela le début de la mauvaise santé mentale ?

C’est une ville dortoir, et pour les gens qui viennent consulter pour leurs animaux, le rapport à l’animal est un des échappatoires au phénomène de solitude. C’est vrai que j’observe des types de clients qui ont une relation pathologique à leur animal et c’est neuf fois sur dix la couverture d’autre chose.

Je n’ai aucun moyen d’agir sur le client, je ne peux que conserver l’animal en bonne santé pour que le client continue à le conserver et ne pas tomber dans une totale dépression.

Ca se traduit la plupart du temps par ce que nous appelons le syndrome d’hyper attachement, qui peut être soit de la personne vers son animal ou l’inverse. On peut parler de mauvaise santé mentale……. de l’animal pour qui toute séparation devient dramatique.

J’ai des clients qui ne peuvent pas laisser leur animal hospitalisé une heure. Ils ne peuvent pas vivre sans leur quadrupède.

Chez l’animal ça se traduit par des explosions que le maître ne peut plus contrôler. Le chien hurle à la mort toute la journée, dégrade tout dans la maison, dévore tout ce qu’il trouve parce qu’il se sent en danger d’être abandonné.

C’est le maître qui a créé les causes de cet hyper attachement sans le savoir. Il a pris un chiot et il l’a modelé en très peu de temps avec des moyens très simples : dormir avec lui, manger en même temps, faire un cérémonial de départ et de retour tellement théâtral qu’il a fait pénétrer chez l’animal une mise en scène répétitive laquelle a généré le fait que le chien ne comprend plus pourquoi il reste seul.

Le chien se met à se bouffer les ongles, à se lécher les pattes avec frénésie et on est obligé de soigner l’animal avec des médicaments.

On essaie de donner des conseils simples car l’animal n’est pas aussi compliqué que l’homme : il répond à des réflexes que l’on peut remplacer par d’autres réflexes.

On peut dire aux gens : « attention vous allez avoir un animal de deux mois, séparé de sa mère de sa fratrie, il est fragile psychologiquement et vous allez le conditionner comme vous voulez » ; un chien peut devenir pleurnicheur, hyper attaché, agressif ou sera maltraité si le maître a besoin d’un souffre-douleur. Le comportement de celui-ci change quand les voisins, les pompiers ou la police intervient et c’est à ce moment là qu’il amène son animal. On peut lui indiquer alors qu’il y a des choses à ne pas faire et à ne pas dire. L’éthologie de l’animal est particulièrement intéressante mais elle est un peu le « mur » du tennis ; celui qui envoie la balle c’est le maître, et son comportement est du ressort du psychiatre

Avec le chien, c’est facile ; avec l’être humain, personne, ou trop de gens viennent vous dire attention ! Chacun fonctionne au feeling et avec sa propre histoire ;

Je ne sais pas quel niveau de perfection il faudrait parvenir pour obtenir une bonne santé mentale de l’ensemble d’une population.

Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?

Nous sommes dans un environnement particulièrement mortifère et on passe notre vie à pratiquer l’euthanasie.
….pour la douleur morale, en dehors du suicide, il n’existe pas de soins palliatifs……

Je pense que tous les métiers sont porteurs de zones de souffrance et c’est peut être tout simplement le travail qui la génère.

Le métier de vétérinaire fait partie des métiers où la proportion de suicides est élevée. J’ai lu un rapport où il est dit que nous sommes dans le peloton de tête et cela a fait l’objet d’une thèse en Sorbonne. On a les moyens de le faire rapidement, efficacement et sans douleurs et il ne s’agit pas de faux suicides.

Toutes sortes de raisons ont été avancées. La privation d’une partie de sa jeunesse consacrée à besogner des concours très difficiles, l’irruption permanente de la mort à toutes les heures du jour, la confrontation à la maladie, à la décrépitude, aux pleurs des gens, à qui il faut expliquer que l’acharnement thérapeutique n’a plus lieu d’être et qu’il faut arrêter le cours de l’histoire, au cérémonial qui accompagne l’euthanasie.

Nous sommes dans un environnement particulièrement mortifère et on passe notre vie à pratiquer l’euthanasie. Incontestablement cela nous renvoie à notre propre mort. On peut être plus ou moins blindés mais on ne peut pas euthanasier un chien sans penser qu’un jour on devra suivre le même raisonnement pour soi.

La souffrance psychologique de notre métier, c’est aussi la souffrance des gens suivant le degré d’empathie que l’on a pour certains.

Je connaissais un vétérinaire qui pleurait avec ses clients. La grosse difficulté c’est d’être confronté à toutes les forces antinomiques de la vie et puis – moins maintenant – mais il fut un temps où les vétérinaires travaillaient comme des mineurs de fond, dix huit heures par jour. Après un mariage vite expédié, ils faisaient des gosses et ils ne savaient même pas leur âge quand ceux-ci demandaient l’argent pour passer le permis de conduire !

Beaucoup mourraient avant d’avoir pris leur retraite.
Autour de moi deux confrères se sont euthanasiés ; l’un pour des problèmes sentimentaux, il avait trente ans, l’autre parce qu’il était atteint d’un cancer du foie. Ils se sont suicidés avec le produit qu’on utilise pour les chiens, en perfusion de manière tout à fait raisonnée. Le second avait mis toutes ses affaires en ordre.

Évidemment pour le second, c’était pour échapper à la douleur physique. Par contre pour la douleur morale, en dehors du suicide, il n’existe pas de soins palliatifs…… C’est d’ailleurs la seule liberté que l’on ait afin de ne pas offrir à ses proches, pendant des mois cette vision du naufrage que sont la maladie et la sénescence.

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?

 

Pour beaucoup de gens c’est la même chose et ces deux êtres là on n’a pas envie de les fréquenter vraiment. On a peur d’être disséqué de l’intérieur
Je crois que l’un d’eux a fait une analyse pour arriver à son diplôme.

Le psychanalyste ? C’est celui qui aide à vous comprendre à travers les mots et les fantasmes, un peu comme les bulles de gaz qui viennent mourir à la surface d’un étang bien calme. C’est une cure.

Le psychiatre ? C’est le grand manipulateur après Dieu, de l’état mental humain. On le voit dans les tribunaux où il vient tenter de faire comprendre le pourquoi d’un geste meurtrier par exemple. Il monte et démonte le mécanisme mental. C’est plus scientifique et c’est moins curatif

Le psychologue ? C’est celui qui s’occupe des choses les plus pragmatiques, qui donne des recettes d’amélioration dans tous les domaines.

En fait tout ça est regroupé autour d’un terme générique : le psy. « Je vais voir mon psy, t’as vu ton psy… etc ».

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez-vous voir en priorité ?

Avant tout je demanderai autour de moi l’adresse d’un « bon » psy.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.