Policier

Mal aimée,
Mal connue du public,
Que dit la police ?

Entretien avec un officier supérieur
de police judiciaire

Quels sont les problèmes psychologiques spécifiques à votre profession ?


Si vous n’y prenez pas garde c’est un métier qui rend fou et qui est très mal perçu par le public. Je suis toujours étonné du faible nombre de bavures alors qu’il y a une casse terrible parmi les flics : divorces, suicides, alcoolisme ; des gens qui finissent leur carrière aigris et dégoûtés. On ne sort pas indemne de plus de vingt ans de PJ !

On est la profession où il y a le plus de divorces et le plus d’alcoolisme ; ça s’arrange un peu mais il y a quelques années, c’était normal de boire.

Les sources de souffrance et de déséquilibre spécifiques à notre profession ?

D’abord le stress, un stress énorme et quasi permanent, avec des montées et des redescentes d’adrénaline.
Par exemple, lorsque vous réalisez une affaire sur laquelle vous avez passé six mois en vous investissant à fond, les retombées sont terribles ; c’est le flic-blues semblable au baby-blues des femmes qui viennent d’accoucher. Tout le monde à la PJ sait que ce sont des problèmes psy spécifiques à notre métier.

Ensuite, les relations hiérarchiques très fortes – qui peuvent aussi avoir un rôle protecteur servant de garde fou – qui vous imposent parfois des choses qu’on n’a pas envie de faire.

Enfin, et si on n’y prend pas garde on peut presque se prendre pour Dieu, vous savez un de ces dieux grecs qui manipulent les hommes du haut de l’Olympe comme des marionnettes. A partir du moment où vous avez une influence sur la vie des gens, qui peut aller jusqu’à la modifier ou la briser en les envoyant en prison, vous vous sentez en possession d’un pouvoir énorme.

Quand on se met sur une équipe de voyous, – hormis le fait qu’on peut réfléchir si ce qu’ils font est bien ou mal -, le travail qu’on fait en les pistant, ils ne le savent pas. On a les pleins pouvoirs sur eux car on va connaître beaucoup de choses à leur insu.
Ce qui perturbe aussi c’est qu’on ne perçoit plus très bien la limite entre le bien et le mal. Au début, c’est simple, il suffit de se reposer sur le code pénal. Ca rassure de se dire que d’un côté il y a les bons – dont on fait forcément partie – de l’autre les mauvais, mais finalement ça n’est pas aussi évident.

Si vous apprenez l’arrestation d’un trafiquant de drogue, vous pensez qu’un pourri a été neutralisé, mais moi je sais que quatre vingt dix pour cent des trafiquants font ça pour survivre.

Quand j’arrête des manouches qui en sont à leur quinzième braquage et qui ont tué onze personnes, en les interrogeant je m’aperçois qu’ils ont un sens moral plus élevé que la plupart des gens “ biens “. Ils n’ont pas leur place dans notre société qui les rejette, donc nos règles ils n’en ont rien à faire, pour eux ce qui compte, c’est le clan, la famille, la tribu. Jamais ils ne feront de mal à un gosse alors finalement j’éprouve plus de sympathie pour ces “ ignobles “ et j’arrive à me sentir plus proche d’eux que de certaines personnalités encensées par la presse et dont je sais qu’ils sont pédophiles ; ceux-là ils me dégoûtent et j’ai envie de leur coller une balle dans la tête.

Il y a aussi le problème des indics qu’on est obligé de fréquenter quand on est flic de PJ. Eux aussi sont des voyous, non seulement ils ont souvent fait pire que ceux qu’ils balancent, mais de plus ils sont moralement indéfendables puisqu’ils pratiquent la délation à des fins peu avouables. Mais eux, on ne les arrête pas parce qu’ils sont indics et qu’on est dans l’obligation d’avoir un contrat moral avec eux et de le respecter. Les gens qui ne font pas de terrain – les magistrats par exemple – ne comprennent pas.

De tout cela, quand on est jeune, on y pense pas mais au fur et à mesure du temps on est bien obligé d’y réfléchir.
Vous vous souvenez de la vague de suicides dans la police il y a quelques années ? Les raisons sont celles dont je viens de vous parler et l’extrême solitude où se sont retrouvés de jeunes flics déracinés.

Constatez vous des problèmes de souffrances psy parmi vos collaborateurs, vos collègues ; quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ? Quels remèdes simples pourrait-on apporter à ces problèmes de souffrance psychologique dans votre milieu professionnel ?


En réalité c’est le groupe qui est thérapeutique et c’est le chef de groupe qui gère tout. Le groupe est protecteur contrairement au privé où il y a compétition. Ce sont les collègues qui vous soutiennent quand ça va mal à tel point que le groupe peut remplacer la famille. Tout le monde se connaît, on fait des fêtes quatre ou cinq fois par an avec les femmes et les enfants.

Certains vont arriver à privilégier le groupe par rapport à eux car ils passent plus de temps au boulot que chez eux. A contrario, il arrive aussi que la vie privée empiète tellement sur la vie professionnelle que le chef de groupe doit remettre un gars sur les rails et par exemple lui interdire de conduire s’il constate qu’il s’endort pendant une planque.

Souvent j’ai observé des dépressions graves qui donnaient lieu à des arrêts maladie. Je me souviens d’une collègue gardien de la paix qui ne supportait pas les relations imposées – chez nous c’est un milieu très macho – on l’a mise dans un bureau et un jour elle a craqué et elle a mis le feu à tout le courrier ; donc quand quelqu’un se met à dérailler on le voit et les chefs de groupe doivent savoir repérer les signaux qui montrent un changement de comportement – le gars qui se met à picoler ou qui devient très irritable au cours d’un interrogatoire – ce sont eux qui auraient sans doute besoin d’une formation ou d’un soutien.

Pourtant parfois on est dans un tel flou qu’il est difficile de se rendre compte qu’on déconne. J’ai un de mes gars qui picole depuis quinze ans. C’est ingérable, administrativement ; tout le monde le sait, ouvre le parapluie, mais personne ne fait rien et vous voulez savoir pourquoi ? Parce que si ça devient officiel ça se termine mal. J’ai connu trois cas , les trois se sont suicidés. En fait il y aurait besoin d’un suivi quasi-permanent.

Quand vous dites à un gars qu’il doit consulter un psy, il vous répond “ je suis pas fou “ et on en reste là. Bien qu’il y ait peu à peu une prise de conscience, toutes les structures à notre disposition, sont sous-employées. Quant aux dispensaires d’hygiène mentale, c’est à quatre vingt dix neuf pour cent pour le traitement des alcoolos. On reçoit régulièrement des petites notes “ le psychologue est à votre disposition “ mais presque personne n’y va.

Les psychologues ne devraient avoir qu’un rôle de prévention et de dépistage mais chez nous ils s’y prennent mal ; le fait qu’ils soient à l’intérieur de la police est un handicap parce que on ne veut pas que les collègues sachent qu’on va les voir. Il n’y a aucune démarche volontaire chez nous vers le psychologue car c’est très difficile d’accepter qu’on ne va pas bien.
Ce serait peut-être plus efficace si les consultations avaient lieu à l’extérieur mais je n’en suis pas sûr. L’idéal serait qu’ils soient totalement intégrés aux équipes car c’est à eux d’aller sur le terrain. Là ils pourraient détecter les comportements anormaux et les orienter vers le psychiatre. Pour le moment ils sont en train de se planter de A jusqu’à Z, ils peuvent passer leur numéro de téléphone trois milliards de fois, ça ne changera rien. Ils attendent le client dans leur bureau, ça ne peut pas marcher.

Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ?


Le mot en soi ne veut rien dire. Il y a ce dont on a hérité à la naissance et sur lequel on ne peut pas agir, et puis il y a ce qu’on va en faire avec l’influence de la société ; c’est ça que l’on gère plus ou moins bien. La santé mentale c’est avoir acquis un certain équilibre, être en harmonie avec l’univers. Je sais que quand on dit santé mentale, la plupart des gens pensent à fous et à l’hôpital psychiatrique. Le mot véhicule trop de clichés et renferme un sens un peu péjoratif c’est pour cela qu’ il est employé à tort et à travers .

Quel autre terme plus approprié choisiriez vous pour désigner la santé mentale ?

Je le remplacerais par bien-être psychologique ou équilibre psychique.

Alors, pour vous,qu’est ce que la santé mentale ?

 

La santé mentale c’est le but à atteindre. Il y a la bonne santé mentale comme il y a la bonne santé physique. J’ai du mal à dissocier le mental du reste. La définition de la santé actuellement c’est le mec jeune et beau à la télé alors que mentalement il peut être complètement déglingué.

Il n’y a pas d’un côté les gens normaux et de l’autre côté les gens pas normaux, pour moi la maladie mentale ne signifie rien. La santé mentale c’est pouvoir maîtriser les problèmes et s’en accommoder. Le mental on peut l’entraîner comme son corps et c’est une notion que vous enseignent les arts martiaux : il faut avoir un corps et un mental fort.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?


J’irai voir un psychiatre parce qu’il est médecin – si ma voiture est en panne, je vais voir un garagiste -.

L’équilibre des gens est bien trop important pour le confier à des gourous, seul un médecin a le droit de s’occuper de la santé psychique, ni les psychologues et encore moins les psychanalystes ne devraient avoir le droit de s’occuper de ça.

J’ai eu affaire dans mon métier à des gens très dangereux ou qui paraissaient normaux et qui tuaient comme on respire, il ne me serait jamais venu à l’idée de les emmener chez un psychologue.

Je suis un flic de la PJ, si on me demande d’aller “ filocher “ des gens très méfiants, pour moi ce sera facile alors qu’un flic de commissariat n’y arrivera pas sans se faire repérer.

C’est la même différence que je fais entre le psychologue et le psychiatre.

Dans notre métier on a du pouvoir sur les gens et on est armé jusqu’aux oreilles, or on ne s’aperçoit pas forcément qu’on “ déconne “, alors quand on se demande si on ne va pas basculer vers le côté “ obscur “, il n’y a qu’un psychiatre qui peut vous aider ; c’est pas un brave psychologue avec ses tests de Rorschach qui va pouvoir s’en apercevoir.
Cela dit, je crois que tout le monde est capable de faire des choses abominables.

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?


Psychiatre ? Pour beaucoup c’est synonyme de fou ; psychologue fait plutôt penser à des gens farfelus manipulant des tests un peu bizarres ; psychanalyste, je ne connais pas la différence.
Le rôle du psychiatre doit être d’écouter et de comprendre et avec lui le recours aux médicaments est toujours possible. Le mauvais psychiatre, c’est celui qui se contente donner des médicaments.

Quels sont, selon vous, les problèmes les plus importants de notre société responsables de mauvaise santé mentale ?


Le capitalisme imbécile ou le capitalisme tout court, la course au profit et au pouvoir. Vous connaissez le pourquoi du dopage ? C’est le fric uniquement. Quand vous avez bien gratté, derrière tous les problèmes de notre société, il y a le fric. Je connais des gens qui ont un fric pas possible et qui continuent quand même à travailler.

Si demain je devenais riche, j’achèterais du temps ; je me débarrasserais de tout ce qui est intendance pour ne m’occuper que de ce qui m’intéresse : la peinture, la musique. Nietzsche a raison quand il dit que celui qui n’est pas maître des deux tiers de son temps est un esclave.

Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.