Marguerite – 45 ans
Cadre infirmière psychiatrique depuis 27 ans
Bientôt, chaque français aura son psy,
sauf…….. les » fous » !
Qu’est ce que la santé mentale ?
Être en bonne santé mentale, c’est être en bonne santé tout court, jouir d’une harmonie ; c’est vrai que dès que l’on prononce le terme mental cela renvoie à la maladie alors qu’il faut dissocier la santé mentale de la psychiatrie.
La misère affective, le rythme et les conditions de travail, les soucis financiers, la déstructuration de l’individu, le manque d’éducation des personnes qui permet de s’enrichir spirituellement, l’environnement, mais aussi la mauvaise formation des médecins généralistes qui donnent trop souvent une réponse chimique à la souffrance alors que le Prozac n’a jamais été une réponse au mal-être.
Quand quelqu’un a des troubles tels qu’il doit se faire aider.
La toute première chose réside dans le fait que ce ne sont plus les psychiatres qui pilotent la psychiatrie mais les administratifs. On n’appelle plus les patients, ni patients, ni malades mentaux mais clients. On va leur donner un hôpital “ aux normes “ mais vide de sens. Ceci est un des premiers éléments de souffrance dans la profession ; la mainmise de l’administration qui gère la pénurie de personnel, la disparition progressive d’un certain nombre de psychiatres, la diminution de lits… Il y a aussi une perte d’identité des infirmiers psychiatriques qui n’ont plus la même formation qu’autrefois. Avant il y avait un diplôme spécifique acquis dans les écoles des hôpitaux. A présent les jeunes diplômés arrivent dans les services, après avoir fait des stages mais à partir d’un tronc commun et d’un diplôme unique.
Puis il y a les conditions de travail car la charge émotionnelle dans cette profession est énorme. Nous sommes confrontés à la souffrance psychique et à la violence car on voit arriver des gens de plus en plus jeunes. Dans les soins « généraux », à l’hôpital, face à la souffrance physique il y a l’acte infirmier, mais la relation c’est autre chose, c’est accepter le temps de l’autre, et sa souffrance existentielle. Les malades et les soignants finalement c’est la rencontre de contraintes.
Il faut établir un projet de soin pour un malade à partir du moment où on l’accueille et l’accompagner l’aider à sortir de l’hôpital. Si je prends l’exemple des grands schizophrènes chroniques on n’a plus actuellement les moyens de les garder vingt ans à l’hôpital, si les familles sont défaillantes ou trop âgés, que faire ? On les relâche dans la nature ; si on a la chance qu’ils aient un logement et une famille il y a la ressource des hospitalisations séquentielles. Mais sinon ils sont dans la nature et il va falloir accepter de voir beaucoup de malades dans la rue. On pourrait appeler ça la psychiatrie explosée. Il y a eu une époque où il pouvait y avoir un accompagnement hors des services même, par exemple, au niveau des jardiniers ; maintenant le statut de ces derniers ne leur permet plus de s’occuper d’un malade mais uniquement des massifs de fleurs. L’ergothérapie reste à l’initiative des services car le maître mot c’est remettre le malade dans la ville.
Bien que les équipes soient très professionnelles nous avons moins d’autonomie pour oser des soins. C’est aussi un métier, usant, très fatigant physiquement avec des horaires décalés, pas ou peu de week-ends, et avec la pénurie actuelle comment va-t-on passer aux trente cinq heures ? L’Etat est le pire des employeurs. Les équipes sont lasses. Si je remonte aux années 70, nos politiques actuels qui étaient dans l’opposition à l’époque, se préoccupaient plus de la santé mentale, ils luttaient et manifestaient à nos cotés. Aujourd’hui ils ont oublié.
Enfin, la relation avec les psychiatre n’est pas simple non plus, on a l’impression que la parole infirmier n’est plus du tout prise en compte.
Du stress, du « burn out », des dépressions, de la somatisation, le découragement et une perte d’identité professionnelle. Mon équipe compte dix sept personnes de 30 à 55 ans. Nous avons une mission de service public, or on est découragé et il faudrait retrouver un moteur. La mission de notre métier est d’abord d’aider les gens mais on est trop sollicité. Il faut changer souvent les horaires, les jours de repos. Il faut couvrir de sept heures à vingt et une heures et il y six infirmiers pour vingt patients. L’hôpital change, il y a actuellement une démarche qualité qui consiste à faire un état des lieux, mettre à plat tout ce qu’on fait, comment on le fait, se remettre en question. C’est une obligation d’accréditation. Ce qui use les équipes parce que cela demande un énorme travail. Il faut déjà qu’il y ait une cohérence au niveau des services puisqu’il y a plusieurs unités au sein même de ceux-ci, une volonté, mettre en place le projet, l’évaluer là où on est bon, pas bon à partir de règles de base y compris administratives. La base de la méthodologie est donnée par l’administration : cela va de « comment commander une ambulance », à « comment remplir un dossier ». En fait c’est remettre en question des fonctionnements, des habitudes. Cela va prendre du temps, ce sera peut être mieux après mais pour le moment c’est dur. La mentalité a changé, le patient a d’avantage la voix au chapitre et la famille, tout au moins dans mon service, a une plus grande place et ça ce sont des points positifs. Ce dont nous souffrons aussi c’est le manque de reconnaissance de nos compétences. A présent les Français ne sont plus intéressés que par le football.
L’absentéisme. La qualité du travail, les signes de fatigue, les modifications de comportement. J’essaie toujours d’être à l’écoute de mon équipe et de trouver le moyen d’aider et de guider. C’est la relation d’aide.
Donner la parole aux équipes, faire en sorte que la souffrance puisse s’exprimer.
Nous avons mis en place des réunions sans hiérarchie où les choses peuvent être dites et permettent d’étudier quelles petites améliorations pourraient être apportées et résoudre ainsi une série de petits problèmes qui, s’accumulant, font des gros problèmes. Ces réunions servent à faire remonter l’information, à gérer plus simplement, à savoir qui fait quoi.
Et puis, bien sûr, il y a le temps de travail. Il faut couvrir de sept heures à vingt et une heures. Si on commence à sept heures et que l’on habite en très grande banlieue – c’est souvent le cas des familles monoparentales qui n’ont pas les moyens de demeurer à Paris – il faut se lever à quatre heures et demi. Si on termine à vingt et une heures je vous laisse imaginer à quelle heure on est chez soi sans parler de l’insécurité dans les transports en commun le soir pour une femme.
Le temps de travail idéal ne serait certes pas le mi-temps. Il faudrait du temps pour se restaurer pour avoir une vie privée de meilleure qualité, pouvoir retrouver la disponibilité psychologique de lire, d’écouter de la musique. Mais pour cela il faudrait embaucher du personnel.
J’ai consulté un psychiatre-psychanalyste que j’avais choisi après avoir cherché, m’être renseignée. Dieu sait si c’est dur d’en trouver un quand on connaît le milieu psychiatrique ; entre les psychiatres « fous » , les incompétents, ceux qui demandent des honoraires scandaleusement élevés, c’est le parcours du combattant pour trouver le bon.