Auxiliaire de vie

Marjolaine, 40 ans Aide à domicile depuis 12 ans

Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ?


C’est quelqu’un qui est atteint d’une maladie d’Alzheimer, ou qui a des problèmes au cerveau.

A partir de quel moment considérez-vous que quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale ?


Lorsqu’une personne a des pertes de mémoire ou est dépressif ou a des tremblements.

Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?


La société en général, le stress, le manque d’argent, le chômage.

Comment avez vous choisi votre métier ?


Mes parents m’ont quasiment obligée à venir en Métropole rejoindre mes sœurs et je n’ai pas eu le choix. Je cherchais un emploi ; je m’étais occupée bénévolement de personnes âgées qui venaient en vacances dans une petite station balnéaire où j’avais atterri en débarquant de la Guadeloupe.

Je suis montée ensuite à Paris et un peu par hasard je suis devenue aide à domicile. J’aurai aimé faire des études d’aide soignante à l’époque mais maintenant c’est trop tard.

Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ? Et quelles mesures pourrait-on prendre pour améliorer les conditions de travail ?


La grande difficulté de ce métier c’est d’être mal accueilli et aussi de ne pas avoir le temps de souffler dès que l’on a ôté son manteau. On ne dispose par personne suivie que d’une heure et demi à deux heures, et il faudrait ne pas arrêter une minute ; d’autre part nous avons des cas trés lourds, des personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer ou hémiplégiques.

Quand on arrive pour la première fois on est angoissé, et les personnes chez qui on va le sont aussi, car elles ne savent pas sur qui elles “ vont tomber “. On a accès à leurs affaires, à leur armoire ; on doit faire leur lit donc ça touche à l’intimité des gens. C’est vrai que c’est difficile d’avoir un “étranger“ chez soi.

Il faut savoir aussi qu’il y a des personnes âgées qui vous accueillent mal et qui même vous insultent. Elles peuvent dire, par exemple, que la nourriture que je prépare n’est pas bonne et pourtant j’essaie de faire le maximum en faisant des bons petits plats.

Nous servons parfois de souffre-douleur. Je pense à l’une des personnes chez qui je vais qui m’insulte régulièrement. Aprés elle s’excuse, d’ailleurs, et elle me dit “Si je ne le dis pas à vous, à qui je vais le dire ?”.

Après, je sais que pour elle, c’est l’angoisse car elle ne sait pas si je vais revenir le lendemain. J’y retourne bien sûr… et elle est contente.

Par contre, je ne me suis jamais heurtée à des problèmes de racisme.

Beaucoup de personnes âgées aussi sont dépressives. On s’en rend compte quand elles refusent de se laver de se nourrir, ou qu’elles ne parlent plus. C’est très dur à supporter.

Je m’occupe actuellement de cinq personnes entre 41 et 88 ans.
Mon travail consiste à faire leur ménage et leurs courses, les accompagner chez le médecin, le coiffeur. Je les aide aussi à faire leur toilette, à les coiffer, à leur faire prendre leurs médicaments, à payer leurs factures. et puis aussi, parfois, quand j’arrive on me dit :
Asseyez-vous, on va discuter “. Alors, ils ou elles, me parlent de leur passé, de leur ancien métier, d’un film qu’ils ont vu à la télé, de leur jeunesse, de leur premier amour, de leur famille, des voyages qu’ils ont faits, de leurs enfants et petits enfants.

En fait, je suis souvent considérée comme quelqu’un de la famille surtout quand ils n’ont pas eu d’enfants. Il m’arrive d’aller faire leurs achats de Noël et bien que l’on n’ait pas le droit de recevoir quoique ce soit, à Noël on nous offre parfois une petite boite de chocolat.

Par contre, mon angoisse est de trouver l’un d’eux, tombé, ou pire, mort. Je viens d’en perdre un récemment ; je lui disais en partant « Ne me faites pas de blague. « A demain n’est ce pas ? ».

C’était un monsieur de 93 ans, seul depuis quinze ans, après la mort de sa femme. Il avait l’âge qu’aurait pu avoir mon grand-père ; il me considérait comme sa petite fille et moi comme mon papy ; on s’entendait bien, et puis il est tombé, il s’est esquinté une vertèbre et il a été alité. Il n’avait plus envie de vivre comme ça, mais il aurait dû penser à ceux qu’il laissait derrière !

De toute façon, je m’entends bien avec toutes les personnes chez qui je vais, et je “m’attache”.

Bien que l’on soit préparé à leur mort, j’ai envie de les « garder« . Ce travail est important pour eux et pour nous. Pour nous, car ça nous fait du travail, et on a le contact avec des personnes qui ont besoin de nous.

Mais c’est un métier particulier et si on ne l’aime pas on ne peut pas le faire. Moi je sais que je donne trop, alors quand il y en a un qui part… Je suis prévenue d’abord par mon employeur et c’est moi qui doit contacter la famille. Quand on m’appelle je me dis « je veux rien savoir« .

Donc je m’inquiète pour eux ; il m’arrive de téléphoner au gardien pour savoir si, untel ou unetelle, est rentré.

Autre chose, l’apparence physique. Les dames par exemple, je les oblige à être coquettes, bien qu’elles me disent que ça ne sert à rien ; je leur dis qu’elles doivent le faire… pour moi ! et je les oblige à s’habiller, tout simplement pour leur éviter de passer toute la journée en chemise de nuit ; de toute façon, je les emmène chez le coiffeur dès l’instant où elles peuvent se déplacer.

Elles sont aussi sensibles au fait que je m’habille “bien“ pour aller travailler chez elles.

C’est important d’arriver habillée correctement, et être souriante.

Je pense que le maintien à domicile est capital pour les gens âgés ou malades ; il y a beaucoup de services : kiné, pédicure, aide soignante, coiffeur. Par contre, c’est dommage qu’il n’y ait pas un service à domicile, ou une structure, pour garder les animaux domestiques. C’est très important un animal pour les personnes âgées ; pour celles qui en ont un, c’est une hantise de devoir partir à l’hôpital ou en maison de repos, et de le laisser.

Pour améliorer les conditions de travail, je pense que des petites réunions seraient nécessaires pour mettre au point un certain nombre de choses et parler de ce qui va et ne va pas. Nous en avons seulement pour la question du sida car nous intervenons aussi chez des personnes jeunes atteintes.

Constatez-vous des problémes de souffrances psy parmi vos collègues, quels sont les « clignotant » qui vous alertent ?


Certaines de mes collègues ne tiennent pas le coup car il faut beaucoup donner de soi-même.

Pour une en particulier, elle était toujours stressée parce que la dame chez qui elle allait était toujours après elle, pendant des années ça a duré et un jour elle a craqué.

J’ai fait de la formation de jeunes aides ménagères, et je leur ai bien appris qu’avant tout il fallait mettre les personnes en confiance et qu’il fallait être exigeant sur l’hygiène pour elles et avec elles ; qu’il y avait des choses à faire et d’autre à ne pas faire comme par exemple essuyer la télé ou les bibelots quand la personne ne le souhaite pas.

Ce qui pose problème souvent c’est la toilette car le contact corporel est important. Par exemple il m’arrive de faire un petit massage bien que je ne sois pas kiné.

Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez-vous voir en priorité ?


J’en parlerais à ma famille. Après la mort du monsieur de 93 ans, on m’a conseillé d’aller voir la psychologue car ça n’allait pas du tout ; j’y suis allée une fois mais comme il fallait que je répète toujours la même chose, je n’y suis plus retournée et finalement ça ne m’a pas aidée.

Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?

Psychiatre ? Il va au fond des choses
Psychologue ? Ca doit être la même chose
Psychanalyste ? Je ne sais pas.

Propos recueillis par Natalie Alessandrini-Leroy.