MALIK 25 ans
encadrant d’agents de prévention et de médiation sociale “ GRAND FRÈRE “
Quand vous entendez l’expression SANTÉ MENTALE qu’est ce que cela évoque pour vous ?
Ca m’évoque des choses très importantes car si on n’a pas une bonne santé mentale, on n’a ni repère ni envies.
Pour moi dans ce terme il y a un aspect positif et un autre négatif : le positif, c’est une personne qui se sent bien dans sa vie et dans son travail ;
le négatif : c’est le stress de la vie quotidienne et au travail.
Quel autre terme plus approprié choisiriez vous pour désigner la santé mentale ?
J’ai plutôt envie d’employer le terme : bien-être psychologique pour désigner la santé mentale.
Quels sont, selon vous, les problèmes responsables de mauvaise santé mentale les plus importants de notre société ?
Le décalage qu’il y a entre ce que la société fait miroiter et les moyens financiers de chacun, forcément limités. Les agressions de la vie quotidienne : le bruit, la pollution, la vie dans des quartiers difficiles, le manque de moyens financiers pour élever ses enfants, les échecs dans la vie professionnelle, le manque de capacités relationnelles, la maladie, le handicap….
Quels sont les problèmes spécifiques à votre profession qui peuvent mettre en péril la santé mentale ?
La souffrance c’est la peur.
Que ce soit dans le métro ou dans un quartier difficile, il y a toujours des gens prêts à voler, ou à provoquer une bagarre. Les problèmes viennent de ces tensions. Face à une rixe entre inconnus c’est un peu la roulette russe car vous ne savez jamais s’ils vont être armés. C’est aussi l’appréhension face à des situations inconnues où il faut complètement improviser.
Notre travail c’est donc la gestion des conflits de la vie quotidienne. Notre seule arme c’est la parole et l’improvisation. Nos interventions consistent à désamorcer. Actuellement les jeunes règlent leurs problèmes en se tapant dessus et parfois en utilisant des armes.
Dans un quartier très difficile comme ici, je connais tout le monde et tout le monde me connaît, par contre s’il y a des inconnus, j’ai peur pour les autres.
J’ai la chance d’avoir la double culture – française et arabe. C’est un atout, d’abord pour la langue. Quand vous approchez un jeune du Bassin méditerranéen, et lui parlez en arabe, c’est une stratégie pour lui parler d’autre chose…en français, surtout faire passer les règles de vie en France, les droits et les devoirs, bref la citoyenneté.
Il faut atteindre le but en français ou en arabe peu importe.
Dans le métro il faut passer d’une situation conflictuelle (fraude) à une situation normale en expliquant par exemple, que le ticket de métro se paye comme la baguette chez le boulanger.
A partir de quel moment considérez vous que quelqu’un n’est plus en bonne santé mentale ?
A partir du moment où une personne a un comportement négatif, s’énerve pour un rien, fume trop, se ronge les ongles, n’a plus d’humour, on peut dire qu’elle n’est plus en bonne santé mentale.
Constatez vous des problèmes de souffrances psy parmi vos collaborateurs, vos collègues ?Quels sont les “ clignotants “ qui vous alertent ?
La souffrance n’est pas toujours liée au travail. On vit ensemble trente cinq heures par semaine, aussi je remarque très vite les troubles : par exemple lorsqu’un agent se désintéresse des projets, arrive en retard, ne discute pas, ne plaisante pas comme d’habitude.
Nous sommes tous jeunes et si pendant sa pause il ne vient pas boire le café, je sens que ça ne va pas. J’ai un lien suffisamment fort avec eux pour qu’ils m’en parlent. Dans deux cas sur trois c’est dû à des problèmes personnels de la vie quotidienne, manque de moyens, habitat dans un quartier sensible.
Il faut bien se rendre compte que la plupart des agents travaillent dans un quartier sensible et demeurent dans un quartier sensible. Le risque c’est de vivre les mêmes problèmes 24h/24, samedi et dimanche compris. Donc comme la plupart sont passionnés par leur travail, ils se retrouvent à traiter les mêmes problèmes en bas de chez eux et ils on l’impression de travailler 24h/24.
Le public à qui ils ont à faire, au travail et dans le quotidien, est le même. Alors ils craquent parfois. La seule chose qui fait la transition, c’est le vêtement et la signature à l’arrivée et au départ. La souffrance psy vient donc de là. L’amalgame entre les deux « vies ».
Pour un jeune qui n’a pas beaucoup d’expérience c’est dur. On est payé finalement pour être citoyen et on doit montrer l’exemple pendant sept heures. Mais, avant et après il est impossible de s’en foutre et avoir un comportement d’incivilité dans son immeuble. Il faut des repères et un équilibre entre les deux.
Quelles ont été les motivations à choisir ce métier ?
Je suis né en Tunisie, j’ai la double nationalité, j’avais cinq ans quand je suis arrivé en France.
J’ai arrêté mes études en première année de bac pro car j’étais bon en foot et je voulais être éducateur sportif – ce que je suis devenu – et on m’a fait une proposition pour devenir GRAND-FRERE. J’avais l’impression d’être fait pour ça.
Malheureusement, en 1997 j’ai ramassé une balle perdue dans le pied alors que je tournais le dos et que je voulais m’interposer entre deux bandes rivales. Après mon accident j’étais devenu très anxieux, j’avais peur de ce qui arrivait derrière moi.
Après un an d’inactivité suivie d’une rééducation autant physique que psychologique, j’ai travaillé à l’école des citoyens de l’APMCJ [1] . Entre temps on m’a proposé un contrat à la mairie de X.. comme agent de prévention et sécurité.
Actuellement je suis donc agent d’encadrement pour un secteur du 18ème, je fais de la médiation dans le métro.
C’est un nouveau métier et beaucoup ont été attirés par cette nouveauté. Beaucoup d’entre nous faisions cela spontanément au quotidien.
Aider un voisin à remplir des paperasses, aider un jeune à s’orienter, écouter lors de conflits de voisinage.
Moi on m’a proposé d’être payé pour faire quelque chose que je faisais tous les jours. J’étais respecté car j’avais réussi dans le foot ; j’ai joué avec des célébrités ; on m’enviait un peu d’être connu et reconnu par les élus.
Ainsi vous devenez célèbre dans votre coin et on vous écoute et vous devenez un exemple donc vous pouvez faire “ passer des choses “.
On est testé en permanence par les jeunes et si vous réussissez le test vous pouvez ensuite discuter avec eux sur ce qu’il faut faire et ne pas faire.
Les jeunes vous font confiance. C’est important de leur montrer qu’on peut faire des études, et surtout les faire entrer dans un processus de réussite plutôt que d’échecs. Je vois tellement de jeunes “ glander “, avoir des problèmes avec la police, ne pas aller à l’école.
Ça me fait mal de voir l’image que donnent des quartiers dits difficiles. Que pense-t-on d’un petit Beur ou d’un petit Black ? C’est encore lui qui a fait ceci ou cela !
Il faut redorer l’image des immigrés même si vous êtes Français sur le papier. Ca donne envie de donner une image positive et de montrer que quelle que soit l’origine on peut s’en sortir. On a de la chance d’être dans un pays libre.
L’égalité j’y crois ; il faut juste se battre. Moi je me suis retrouvé à faire des réunions dans des mairies, des galas et on me demande mon avis.
Même en rêve, je n’avais pas imaginé qu’on me demanderait mon avis sur une politique de la ville, sur un centre, sur des projets apportant une évolution positive.
Jamais je n’aurais cru rencontrer une ministre ou un secrétaire d’État ou le commissaire d’Andréa qui est un père spirituel.
Tant qu’il y a des gens comme lui, il y a de l’espoir. Quand vous venez d’un quartier difficile où tout est plus ou moins dégradé ; lorsque vous avez passé votre scolarité avec la moitié des profs absents, vous n’avez qu’une envie c’est que ce soit mieux. Le jour où je penserai que je ne suis plus utile ou que je pourrais plus sauver ne serait ce qu’une personne, je changerai de métier.
Quel terme vous paraîtrait plus approprié pour définir la souffrance au travail ? Souffrance mentale, souffrance psychologique ?
Je n’arrive pas à faire la différence entre le mental et le psychologique.
Pour le travail je dirais plutôt souffrance psy.
Le mental c’est notre façon d’être, c’est lié à la personnalité.
C’est un travail qui évolue tout le temps. On a une réunion par mois avec les agents pour parler des problèmes rencontrés dans le travail au quotidien.
Une réunion d’encadrants une fois par mois. Une autre réunion avec nos partenaires tous les quinze jours pour nous repositionner dans nos missions, rechercher des partenariats nouveaux.
Ce qui faciliterait la vie sans doute c’est d’avoir un budget de fonctionnement annuel pour chaque projet.
Notre structure est très sérieuse. En tout nous sommes cent quinze agents ; c’est un maillage métro, bus, quartier, Paris et proche banlieue. Il faudrait étendre un peu et arriver à doubler les effectifs.
Si vous étiez en état de grande souffrance psychologique, qui iriez vous voir en priorité ?
Je me battrais avec moi-même d’abord, si ça allait plus mal j’irai voir mon meilleur ami, il est plus vieux donc il a plus d’expérience. Il me connaît depuis que je suis petit.
Quel est le rôle du psychiatre, du psychologue, du psychanalyste ?
Psychiatre : déjà c’est un mot pénible pour moi, c’est celui qui traite des personnes ayant un handicap lourd psychomoteur ; c’est une fonction spécifique, médicale, liée à des choses très complexes, très difficiles. C’est l’extrême, le dernier recours. Il donne des médicaments s’il est médecin…( !)
Psychologue : c’est la personne qui est derrière son bureau et qui ne dit pas un mot et qui vous écoute débiter. Il fait preuve de psychologie, il vous renvoie à vous même pour trouver les réponses.
Psychanalyste : il est différent du psychiatre et du psychologue ; il prend beaucoup de notes, il analyse la situation, il fait le muet. Je ne le vois pas comme un médecin ;
c’est quelqu’un que tout le monde peut aller voir pour faire une analyse de soi. Un check up de la tête ; c’est différent du psychologue qui traite un problème particulier et ponctuel.
Propos recueillis par Nataline Alessandrini-Leroy.
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